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01/08/2023

Vive les premiers de la classe

Début
juin, lors de sa visite au sanctuaire du Mont
Saint-Michel, notre Président, Emmanuel Macron, annonçait
une campagne pour classer davantage d'édifices cultuels
en France comme monuments historiques, afin de faciliter
leur préservation.
J’ai
voulu revenir aux sources pour mieux comprendre ce
qu’est le classement des monuments historiques, quel a
été son évolution et quels en sont les ordres de
grandeur aujourd’hui. Je vous fais part de mon analyse.
Dans
la liste officielle, le classement géographique est
hyper-précis car chaque édifice est repéré jusqu’à ses
coordonnées géographiques précises (connues aujourd’hui
sous le nom de coordonnées GPS latitude/longitude), les
dates de classement sont connues au jour près, par
contre la nature et le type de monument est exprimée en
langage courant, rendant plus difficile et moins
précises les analyses synthétiques.
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LA
GENÈSE DU CLASSEMENT MH
L’heure
du
glas
…
La
Révolution engagea nos monuments historiques, civils et
religieux, dans un avenir mouvementé et incertain :
Le
2 novembre 1789, l’Assemblée constituante décrète «
que tous les biens ecclésiastiques sont à la disposition
de la nation »
et
« Leur mise en vente — avec celle des « domaines de
la couronne, à l’exception des forêts et des maisons
royales dont Sa Majesté voudra se réserver la jouissance
».
Le
13 novembre 1789 est publié un décret sur l’inventaire
des biens ecclésiastiques.
Le
19 décembre 1789 est publié le décret sur la mise en
vente des biens ecclésiastiques, à hauteur de 400
millions de livres (cette somme représenterait environ
6,5 milliards d’euros).
Du
17 mars au 14 mai 1790, publications des décrets
permettant aux municipalités de devenir propriétaires
des biens.
Ainsi,
en moins de six mois, l’avenir
de notre patrimoine était scellé sur des bases purement
politiques et idéologiques. Notre patrimoine devenait
une source de profit pour l’État mais devenait aussi une
perte la Nation.
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Assemblée Nationale le 4 février 1790 (source www.wikipedia)

L'espoir
renaît ...
Le
4 octobre 1790, une pétition demande la sauvegarde des «
inscriptions, légendes, épitaphes, tombeaux et autres
monuments quelconques ».
Le
6 octobre 1790, l’Académie de peinture et de sculpture
plaide à son tour pour la conservation des «
ouvrages et monuments de peinture et sculpture les plus
précieux ».
Le
13 octobre 1790, l’Assemblée charge la municipalité
parisienne et les directoires des départements de « dresser
un
état des monuments et de veiller à leur
conservation ».
Le
8 novembre 1790, une commission des monuments tient sa
première réunion.
Le
9 décembre 1790, l’érudit et antiquaire Aubin-Louis Millin
de Grandchamps,
à l’Assemblée
Constituante,
approuve la vente
des biens nationaux puisqu’elle assure la prospérité
publique, mais s’alarme de la «
destruction de chefs-d’œuvre du génie ou de monuments
intéressants pour l’histoire ».
Il présente une publication intitulée : Antiquités
nationales,
ou Recueil de monumens
pour servir à l’histoire générale et particulière de
l’Empire français.
Le
Président de la séance reconnaît l’ampleur et l’utilité
du travail réalisé et déclare que « L’Assemblée
nationale
se fera toujours un devoir de favoriser les progrès des
sciences et des arts, tout ce qui peut illustrer les
Empires, et surtout conduire les hommes vers le bonheur
; elle est trop convaincue que l’ignorance est la source
de leurs maux. C’est vous dire assez l’accueil qu’elle
fait à l’ouvrage que vous lui présentez ; elle vous
accorde les honneurs de la séance ».
Un
autre érudit et antiquaire, François-Marie
Puthod
de Maison-Rouge, publie de son côté Les
Monumens,
ou le Pélerinage
historique.
Pour
la première fois apparaissent les termes de «
monument historique » et
de «
patrimoine national » dans
le sens qu’ils ont encore de nos jours. Ainsi, en trois
mois, une impulsion était donnée pour infléchir
l’acharnement politique.
Mais, hélas, ce n’était pas encore gagné.
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Aubin-Louis
Millin
de Grandchamps,
gravure de Forster d’après Frémy (1821) (source wikipédia)
40
ans plus tard ...
Le
21 octobre 1830, sous le règne de Louis-Philippe,
François Guizot, ministre, secrétaire d'État au
département de l'Intérieur, après un émouvant
réquisitoire sur les richesses et la beauté de
l’architecture religieuse médiévale, propose de créer la
fonction d’Inspecteur Général des Monuments Historiques
de la France.
Il
en précise les contours avec précision : « La
personne à qui ces fonctions seront confiées devra avant
tout, s’occuper des moyens de donner aux intentions du
gouvernement un caractère d’ensemble et de régularité. A
cet effet, elle devra parcourir successivement tous les
départements de la France, s’assurer sur les lieux de
l’importance historique ou du mérite d’art des
monuments. […]
»
«
L’Inspecteur Général des Monuments Historiques
préparera dans sa première et générale tournée un
catalogue exact et complet des édifices ou monuments
isolés qui méritent une attention sérieuse de la part du
Gouvernement ; il accompagnera, autant que faire se
pourra, ce catalogue de dessins et de plans et en
remettra successivement les éléments au ministère de
l’Intérieur où ils seront classés et consultés au
besoin. […]
»
«
L’Inspecteur Général des Monuments Historiques
devra renouveler le plus souvent possible ses tournées
et les diriger chaque année d’après les avis qui seront
donnés par les Préfets et les correspondants reconnus
par l’administration. Lorsqu’il s’agira d’imputations
sur le fonds de la conservation des Monuments de la
France ou de dépenses analogues votées par les
départements ou les communes, l’Inspecteur Général des
Monuments Historiques sera consulté. […]
»
«
Le traitement annuel de ce fonctionnaire est fixé
à huit mille francs. »
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François Guizot (source www.lirelabible.net)
La
proposition a été approuvée par le roi le 25 octobre
1830. Le premier Inspecteur fut l’écrivain et homme
politique Ludovic Vitet.
En 1834 Prosper Mérimée fut nommé à ce poste qu’il eut
en charge jusqu’en 1860.
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Prosper
Mérimée
photographié par Charles Reutlinger
(source
wikipédia)
Le
début du sauvetage ...
L’impulsion
engagée en décembre 1790 commençait enfin à s’ancrer
dans une action solide en 1830.
Malheureusement,
durant quarante ans entre 1790 et 1830, la source
d’enrichissement que procurait la vente des églises à
des marchands de pierre ou à des propriétaires peu
scrupuleux du patrimoine eut le temps de se développer
et de prospérer dans toute la France.
Les
dégâts furent considérables : Cluny (71), Jumièges (76),
Ourscamp
(60), Chaalis (60), La Sauve Majeur (33), Charroux (86),
Longpont (02), Royaumont (95), Les Vaux-de-Cernay (78),
Maillezais (85), Charlieu (42) et tant d’autres encore.
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(sources
:
https://www.culture.gouv.fr/Thematiques/Monuments-Sites/Monuments-historiques-sites-patrimoniaux/Un-peu-d-histoire/Les-grandes-dates-des-monuments-historiques
-
https://chmcc.hypotheses.org/8546
-
https://langloishg.fr/documents/lassemblee-constituante-et-la-sauvegarde-du-patrimoine/)
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LA
LISTE DE PROTECTION DES MONUMENTS HISTORIQUES
La
première liste, officialisée en 1840, identifiait 536
édifices classés Monuments Historiques. En 1913 est
introduite la notion "d’inscription
à l’inventaire supplémentaire pour les édifices qui,
sans justifier un classement immédiat, présentent
cependant un intérêt archéologique suffisant pour en
rendre désirable la préservation".
Aujourd’hui la distinction entre monument classé et
monument inscrit est la suivante :
Classement
: attribué au niveau national – le classement peut être
révoqué - la préservation du monument est accompagné
d’aides de l’État.
Inscription
: attribuée au niveau régional – l’inscription ne peut
être révoquée qu’au niveau national – le monument n’est
pas bénéficiaire d’aides de l’État pour sa préservation.
Un
édifice présent dans la liste peut avoir plusieurs dates
de protection, commençant par être inscrit puis déclaré
ultérieurement classé en tout ou parties.
A
fin
2022 la liste répertorie 45.682 édifices. Dans ce
dénombrement impressionnant, une simple croix d’un
calvaire breton pèse autant que le château de Versailles
ou la cathédrale Notre-Dame de Paris.
Dans
le fichier original, librement accessible sur internet
sous forme d’un tableau excel
(https://data.culture.gouv.fr/explore/dataset/liste-des-immeubles-proteges-au-titre-des-monuments-historiques/export/),
les monuments sont désignés par leur « Appellation
courante" qui n’est pas normalisée, éventuellement
complétée par une note "Historique" plus ou moins
détaillée et d'un texte intitulé "Date de protection"
qui résume les différentes étapes de sa prise en compte
dans la liste.
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Liste en 1840
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Liste accessible en
2023
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ANALYSE
DE LA LISTE
J’ai
réalisé, avec ma modeste intelligence naturelle, une
analyse de ces données pour repérer les édifices
religieux. Les vrais algorithmes de la vraie
intelligence artificielle permettront d’analyser plus
finement les chaînes de caractères décrivant les
édifices, leur appellation, leur histoire et les étapes
de leur protection pour pouvoir les classifier avec plus
de précision.
J’ai
isolé les appellations suivantes et, compte tenu de
l’imprécision de certaines appellations, j’ai arrondi
les chiffres :
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En
synthèse : sur
45 700 édifices recensés, 12 500 sont des édifices
religieux et parmi ceux-ci 10 700 sont de nature
générique un lieu de culte (église).
J’ai
considéré que, sauf exception pour certains édifices que
je connaissais, une église dont le premier statut est "inscrite"
demeure inscrite même si ultérieurement seules certaines
parties ont été classées (portail, clocher, sculpture,
peinture, etc.). Ainsi sur les 12 500 édifices protégés
environ 5 450 sont classés et 7 050 sont, selon ma
définition, inscrits.
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NAISSANCE
ET CROISSANCE
DE
LA PROTECTION DES ÉDIFICES
Jusqu’en
1900 l’officialisation des monuments protégés faisait
l’objet de listes publiées à des années précises : 1840,
1846, 1862, 1875, 1889. Progressivement quelques
édifices furent inscrits entre ces dates, puis ils
furent de plus en plus nombreux et, à partir de 1900,
les inscriptions furent officialisées au fil du temps.
Comme
le montre le graphique suivant, jusqu’à la fin du
dix-neuvième siècle la répartition entre édifices civils
et religieux était symétrique : en 1900, 1150 édifices
civils et 1110 édifices religieux (soit moitié –
moitié).
Comme
le classement était contraignant pour les propriétaires
civils, de nombreux ajustements furent apportés aux
textes législatifs pour étendre la protection sans pour
autant porter atteinte gravement aux libertés des
propriétaires. Ces ouvertures permirent la très forte
progression de la protection des édifices civils. En
2022, 33 200 édifices civils et 12 500 édifices
religieux (soit grosso modo 2/3 - 1/3).
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Les
édifices les plus prestigieux et incontestables,
édifices religieux et civils, ont été recensés dans les
trois premières listes de 1840, 1846 et 1862. Puis, la
progression du nombre d’édifices religieux protégés a
suivi une pente douce jusqu’à aujourd’hui.
Ainsi,
l’inscription sur une de ces trois premières listes
est un gage d’authenticité et de notoriété. Les
premiers classés sont les meilleurs !
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Le
site monumentum.fr
permet de
localiser précisément les Monuments Historiques sur des
cartes,
d'en
afficher
les photographies aériennes
et fournit un minimum
d'informations sur chaque Monument Historique
: les
informations fournies par le
Ministère
de la
Culture (base Mérimée),
un
lien vers la page Wikipédia du monument lorsqu'elle existe
et quelques photographies du monument.
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