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xx/04/2023

L'arc et la chaîne

Poursuivons
en
bref instant sur les ingéniosités que les Hommes ont
inventées pour traverser l’espace afin de couvrir les
bâtiments. Là où le bois est abondant, la charpenterie
a permis de réaliser des merveilles, mais le bois est
vulnérable car putrescible et inflammable et, dans
beaucoup de régions du monde, le bois est une
ressource rare donc trop onéreuse pour construire des
charpentes. C’est la nécessité, mère de l’invention et
de l’innovation, qui stimule l’ingéniosité de l’Homme.
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L’ARC
EN PIERRE
Voici
la
troisième invention fondamentale que je veux évoquer :
l’arc en pierre. Il résulte, à mes yeux, d’une idée
aussi fondamentale pour l’art de construire qu’ont été
la roue pour le transport et la mécanique et le triangle
pour la charpenterie. C’est encore une invention que
l’Homme n’a pu imaginer par biomimétisme car l’arc
n’existe pas tel quel dans la nature. Tout au plus
certaines formes naturelles ressemblent à celle d’un arc
irrégulier mais elles n’ébauchent pas la fonction de
traverser l’espace.
Comment
imaginer
traverser l’espace avec des pierres bien plus petites
que l’espace à traverser ?
L’arc
en
pierre permet de traverser l’espace avec des pierres de
petites dimensions, si elles sont réparties selon une
courbe qui relie les deux extrémités de l’espace à
couvrir, de façon à ce que ces pierres s’arc boutent les
unes contre les autres et soient ainsi en équilibre. Les
pierres ne sont soumises qu’à des forces de pression
qu’elles exercent les unes sur les autres et c’est grâce
à cela qu’elles sont en équilibre une fois qu’elles sont
toutes en place.
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Tant
que
la clé n’est pas posée, l’arc en construction doit être
soutenu par le cintre.
Le
principe
des arcs en pierre était déjà connu et appliqué par les
égyptiens. Les romains en ont fait largement usage dans
leurs constructions. L’arc en pierre et son
développement sous la forme de voûtes sont à la base de
toute l’architecture religieuse médiévale. Les
techniques de construction et les savoir-faire ont
considérablement progressé entre le XIème
et le XIIIème
siècle, preuve d’un travail de recherche et d’innovation
permanent des maîtres maçons et de leurs équipes.
Les
principes
et
les techniques utilisés sont
développées
dans
la
fiche
technique
"traversée
de
l’espace avec la pierre".
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LA
CHAÎNETTE
Comme
je
le dis et l’écris régulièrement, je suis toujours gêné
de lire chez les historiens de l’art que les bâtisseurs
médiévaux tâtonnaient, qu’ils hésitaient,
qu’ils étaient maladroits, termes peu flatteurs.
Voici
la
preuve qu’ils étaient extrêmement brillants et avaient
anticipé les découvertes de la science..
En
mathématique
la chaînette est une courbe qui a la forme d’une chaîne
suspendue par ses extrémités. Cette forme nous est
familière car on en trouve l’usage mille fois autour de
nous.
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D’éminents
mathématiciens
(Bernouilli,
Leibnitz et Huygens) ont établi l’équation et les
propriétés de cette courbe au XVIIème
siècle. Le scientifique anglais Robert Hooke a démontré,
à la fin de ce XVIIème
siècle, que cette courbe donne, en inversée, la forme
que doit avoir un arc en maçonnerie pour être stable et
résistant.
Au
XIXème
siècle des architectes et des ingénieurs, dont Edouard Méry,
ont développé des méthodes et des outils graphiques pour
dessiner et analyser la stabilité des arcs et des voûtes
en maçonnerie grâce à cette courbe.
Au
XXème
siècle, l’architecte Antoni Gaudi a mis ses structures
"en équation" avec cette courbe pour leur donner une
finesse absolue, comme à la Sagrada Familia de
Barcelone.
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(Source
www.barcelonabusturistic.cat)
Bien
évidemment
les architectes médiévaux ignoraient tout ça, les
pauvres !
Et
bien je n’en suis pas si sûr !
On
lit
parfois, selon des approches très rudimentaires, que
l’art roman se caractérise par des arcs dits plein
cintre, c’est-à-dire circulaires, et l’art gothique par
des arcs brisés, c’est-à-dire "pointus" :
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De
nombreuses
méthodes ont été pratiquées pour dessiner différentes
formes d’arcs brisés en faisant varier la position des
centres des deux demi- arcs. Une formule a été pratiquée
bien plus que d’autres : celle de l’arc tiers-point où
ce centre se situe aux deux tiers de la base de l’arc :
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Je montre,
dans
la
fiche technique
"traversée de l’espace avec la
pierre" au paragraphe
la chaînette et l'arc en tiers point, que
la
forme de cet arc, très simple à tracer avec la règle et
le compas, est très voisine de celle d’une chaînette
inversée ayant même portée et même flèche. Ce n’est ni
un hasard, ni une coïncidence fortuite. Ils avaient
compris, intuitivement et sans calcul, que les forces de
tension exercées sur les maillons d’une chaîne suspendue
étaient analogue aux forces de pression exercées sur les
voussoirs d’un arc et donc que la forme de la chaînette
était mieux appropriée que le demi cercle pour tracer un
arc.
On
peut
facilement imaginer comment ils avaient pu procéder pour
trouver la forme du tiers-point en procédant par de très
nombreuses approximations graphiques successives avec la
règle et le compas :
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Bien
sûr
ils ne
disposaient
pas de bloc-notes à spiral ni de crayons papiers, mais
des parchemins en peau d’animal, des
compas et des stylets à pointe sèche et
des
plumes
d’oiseaux
pour
écrire et dessiner leurs idées.
Techniquement
c’était rudimentaire, mais intellectuellement ils
étaient déjà au top !
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Après
avoir
mis au point les arcs brisés en tiers point, les
architectes développèrent des arcs encore plus aigus
dont la position des centres pouvait facilement être
obtenue par des proportions avec la portée et qui sont
illustrés ci-dessous.
Tiers-point
=
centre
à
2/3 de
la
portée
Quart-point
= centre à 3/4de la portée
Quinte-point
= centre à 4/5 de la portée
L'arc
équilatère est inscrit dans un triangle équilatéral
L'arc
"carré" est inscrit dans un carré, sa flèche est égale à
sa portée
Ces
deux derniers types d'arcs sont parfois appelés arcs
en lancette
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Une
des
clés de la science et de la technique, outre la rigueur
du raisonnement et l’honnêteté intellectuelle, est
l’observation et le temps consacré à l’observation pour
arriver à comprendre ce que l’on voit. L’observation
n’est
pas une maladresse et le temps consacré à l’observation
n’est pas un tâtonnement.
Les architectes médiévaux savaient cela. N’est-ce
pas ce que font les astronomes d’aujourd’hui avec
l’exploitation de Hubble et maintenant de James-Webb ?
L’observation
est
le
socle
du
progrès.
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