Newsletter n° 2

 








09/02/2023

La règle et le compas


La lettre d’information s’enrichit désormais de quelques-unes de mes réflexions personnelles sur l’architecture religieuse médiévale.

Comme je l’explique dans le chapitre "Programme", mon enthousiasme m’a progressivement conduit à une admiration quasi démesurée des bâtisseurs de l’époque, je veux la partager avec vous dans les newsletters.




CONSTRUIRE UNE CATHÉDRALE AVEC LA RÈGLE ET LE COMPAS


Très souvent, ces merveilles d’architectures, qu’elles soient préromanes ou gothique flamboyant, sont appréciées à l’aune des techniques, des savoirs et des savoir-faire actuels avec une teinte de commisération, « les pauvres, ils ne savaient pas. Comme ça devait être difficile pour eux ! ».

Le regard d’ingénieur que je porte sur ces merveilles qui ont résisté à l’usure du temps, aux vicissitudes de l’histoire, aux affrontements idéologiques et physiques, est un regard admiratif.

Je pense que les "ingénieurs" de l’époque (j’aurai l’occasion de revenir sur cette notion) étaient plus intelligents, plus performants, voire plus innovateurs que les ingénieurs d’aujourd’hui. Ils n’avaient à leur disposition ni règle à calcul, ni calculatrice, ni ordinateur, ni modèles mathématiques et physiques ni même de papier pour représenter leur vision, la faire partager et la transmettre. Ils n’avaient à leur disposition que des parchemins en peau d’animal, si coûteux qu’on les grattait après usage pour pouvoir les réutiliser. À part les documents à caractère religieux, historique, juridique ou comptable peu ont survécu, notamment tous les documents techniques dont la vie était très éphémère.


Le seul modèle mathématique dont ils disposaient pour construire leurs pensées était la géométrie euclidienne et les outils pour en appliquer les lois étaient la règle et le compas.


    
XIIème siècle
XXIème siècle

C’est grâce à la force et la puissance de leurs raisonnements, grâce à leur faculté d’observation et d’analyse, grâce à leur aptitude à comprendre les causes sans pouvoir les valider par le calcul, qu’ils ont tant progressé en trois siècles.

Pour illustrer mon propos, je vous invite à compulser le Carnet de Villard de Honnecourt, architecte du XIIème siècle, dont je viens de publier le contenu, accompagné de quelques commentaires, sur le site romangothique.

Le carnet, composé de notes et de croquis remarquablement précis, traite des techniques de construction et de l’art du dessin. Il a été miraculeusement conservé au fil du temps pour nous parvenir dans un état tout à fait remarquable.

Voici le type de croquis utilisé pour décrire les règles la stéréotomie, c’est-à-dire l’art de découper les pierres pour pouvoir les assembler de façon à obtenir la forme architecturale voulue (voûte, arc, etc.).






C’est à partir de ce type de croquis, plus détaillés bien sûr, tracés à l’échelle 1 sur une surface plane, en général au sol sur une fine couche de plâtre, que la maître maçon dessinait les gabarits nécessaires aux tailleurs de pierre pour les guider dans leur travail.

Prenons pour exemple la "vis de Saint-Gilles".

C’est un escalier en colimaçon dont le voûtement est une merveille de précision et de sophistication dans l’art de la stéréotomie. Il a été réalisée au début du XIIème siècle. Il a été considéré au fil des siècles comme l’exemple parfait de l’art du trait et de l’application de la stéréotomie. Il est pris comme modèle dans les traités de coupe de pierre. Depuis le XVIème siècle, la vis de Saint-Gilles est une étape dans la formation des compagnons tailleurs de pierre


    



Les maîtres du XIIème siècle n’avaient que des épures du type de celles de Villard de Honnecourt pour enseigner le tracé à réaliser afin de dessiner les gabarits à l'aide de quelques rudiments de géométrie descriptive.

 

Voici quelques exemples d’épures tracées bien après pour décrire la vis et en enseigner les principes associés de stéréotomie. On y voit l’application progressive des règles de la géométrie descriptive pour tracer sur un plan les coupes nécessaires permettant de tracer les gabarits.


      

1580

1728

1870


Voilà pourquoi je suis tant admiratif : la réalisation du douzième siècle est parfaite malgré un bagage technique rudimentaire pour conceptualiser et dessiner les formes.


Je pense qu'en termes d'archarnement, d'innonvations et de prises de risques, le Moyen Âge a été aussi fécond pour la construction que l'ont été les 19 et 20 èmes siècles pour la maîtrise de l'énergie et les traitement de l'information.



LE CARNET DE VILLARD DE HONNECOURT


Villard de Honnecourt était un architecte et maître-maçon qui vécut dans la première moitié du XIIème siècle. Le carnet, composé de notes et de croquis remarquablement précis, traite des techniques de construction et de l’art du dessin. Il a été miraculeusement conservé au fil du temps pour nous parvenir dans un état tout à fait remarquable. Il est actuellement conservé à la Bibliothèque Nationale de France.

De nombreux ouvrages lui ont été consacré au XIX et XXèmes siècles, notamment celui de Roland Bechmann, architecte et historien, qui s’est appliqué à déchiffrer et interpréter tous les schémas.


                   
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ABBATIALE SAINT-GILLES DE SAINT-GILLES DU GARD


Située à une quinzaine de kilomètres à l’est d’Arles et à proximité des étangs de Camargue, Saint Gilles du Gard est devenu le quatrième lieu de pèlerinage au Moyen Âge, derrière Jérusalem, Rome et Saint-Jacques de Compostelle.


La construction de l’église, dont nous voyons aujourd’hui ce qu’il en reste, fut entreprise au début du XIIème siècle.


De cet imposant édifice roman, qui vécut bien des malheurs tout au long de son existence, il ne reste que la façade, la crypte, les ruines des soubassements du chœur et les restes de la tour qui abrite un escalier hélicoïdal menant à des tribunes, la célèbre vis de Saint-Gilles, évoquée ci-dessus.


    
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Dans une prochaine newsletter je développerai quelques idées sur certaines inventions techniques qui ont été - et sont encore - fondamentales pour l'humanité. 




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