Newsletter n° 3

 








05 mars 2023



La roue et le triangle


Á l’image du tonneau des Danaïdes qui se vide au fur et à mesure qu’on le remplit, chaque réponse apportée à mes interrogations apporte de nouvelles questions qui aiguisent sans cesse mon appétit.

L’architecture religieuse médiévale m’a enrôlé dans ce tourbillon sans fin, pour toujours essayer de comprendre le pourquoi. Je cite, sans originalité, la métaphore de Bernard de Chartres, philosophe du XIIème siècle qui disait :

« Nous sommes comme des nains juchés sur des épaules de géants, de telle sorte que nous puissions voir plus de choses et de plus éloignées que n’en voyaient ces derniers. Et cela, non point parce que notre vue serait plus puissante ou notre taille avantageuse, mais parce que nous sommes portés et exhaussés par la haute stature des géants ».

J’ajouterais que nous ne sommes pas plus intelligents ni plus créatifs qu’eux, mais, grâce à eux, notre point de départ est plus avancé.

Comment nos anciens ont-ils fait pour découvrir ou inventer ce qui, de nos jours, est d’une affreuse banalité mais sans lesquelles nous ne serions rien ?





LA ROUE


La roue est une invention unanimement reconnue comme fondamentale pour l’humanité. Grâce à elle il devint possible de déplacer des charges bien trop lourdes pour le dos d’un homme ou d’un animal. De nos jours elle est partout, essentielle pour le transport, incontournable dans toute mécanique quelle qu’elle soit.

Elle est devenue une évidence dès lors qu’on en a vu une et qu’elle a été enregistrée dans notre logiciel de reconnaissance des formes, logé dans notre cerveau.

 

Ce n’est pas par biomimétisme que l’Homme a inventée la roue car elle n’existe pas dans la nature. Il a sans doute imaginé le mouvement circulaire en observant des rondins coupés dévaler une pente en roulant. Mais c’est grâce à ses facultés d’abstraction et de conceptualisation appuyées sur le bon sens qu’il a inventé la roue sans l’aide d’aucun outil mathématique ou physique.






Cela nous éloigne un instant de nos cathédrales dont la conception ne fait pas appel à la roue, bien qu’elle fut essentielle pour leur construction tant pour le transport des matériaux que dans les instruments de levage.

Il est parfois bon de s’évader du présent pour retourner aux sources afin de mieux comprendre comment le présent se construit et le futur s'imagine
parce que la nécessité est mère de l’invention et de l’innovation. La roue est une invention, la poulie est une innovation pour un autre usage de la roue.


LA TRAVERSÉE DE L’ESPACE

La traversée de l’espace est un incontournable de l’art et de la science de l’architecture.

Après avoir élevé des murs pour délimiter et isoler un espace clos, il faut le couvrir pour protéger ses occupants et pour cela traverser l’espace avec des matériaux solides et résistants. Le bois fut, bien sûr, la première ressource utilisée, dans les régions où il est abondant. La poutre en bois fut la première solution intuitive pour couvrir un espace clos. L’art de la charpenterie s’est alors développé pour construire des charpentes toujours plus élaborées, plus audacieuses, plus robustes. 


Alors attardons nous sur une deuxième invention révolutionnaire qui, dans la nature, n’existe ni à l’état d’évocation ni d’intuition : le triangle. C’est une figure géométrique très simple qui a l’extraordinaire propriété d’être indéformable.

Imaginons un assemblage de trois bandes plates en métal percées d’un trou à leurs extrémités et reliées deux à deux par un boulon laissant les barres libres de pivoter l’une par rapport à l’autre. L’ensemble est rigide, stable et indéformable bien que les bandes soient mobiles deux à deux. 




Si nous soumettons ce triangle à des forces s’exerçant à ses sommets, il ne se déforme pas tant que les bandes résistent aux efforts demandés.

Cette invention géniale est au cœur de la conception des charpentes qui couvrent les constructions depuis des millénaires. Une charpente est un assemblage d’armatures triangulaires qui s’épaulent les unes les autres pout soutenir les matériaux de la couverture.




Les églises et les cathédrales, depuis l’origine du christianisme et avant elles les temples romains, grecs et égyptiens, étaient couverts de charpentes en bois qui assuraient à la fois les fonctions de couvrement (limite supérieure de l’espace habitable) et de couverture (protection extérieure de l’édifice).

La fiche technique "traversée de l’espace avec le bois" développe plus amplement ce sujet.


Certains édifices ont conservé leur couvrement d’origine en charpente apparente. Parfois celle ci a été détruite par des incendies, le vandalisme ou la fatigue. Elles ont alors été reconstruites, à une date postérieure voire récente, conforme à ce que pouvait être la structure d’origine.

Voici quelques liens vers les reportages photographiques de certaines de ces églises.


    
Ebreuil (03)
Saint Philibert de Grand Lieu (44)

    
Saint Romain sous Gourdon (71)
Rhuis (60)


Graville Saint Honorine (76)

Parfois un plafond de bois séparait la nef des combles sous charpente afin d’assurer une meilleure isolation thermique et une finition esthétique plus soignée.


    
Vertus (51)
Bourbon Lancie (71)

    
Avolsheim (67)
Eschau (67)

Les églises couvertes en charpente apparente sont décrites et commentées dans le chapitre "charpente" du site.


La charpente n’a pas disparu avec le couvrement en pierre des églises car, pour protéger l'édifice, il faut bien maintenir une couverture en tuile, en ardoise ou en zinc, soutenue par une charpente. Elle devient alors invisible aux fidèles et aux visiteurs car il faut accéder aux combles pour la découvrir. De nos jours il est rare de pouvoir y avoir accès en visite libre et, lorsque c’est possible, il fait tellement sombre qu’on ne peut que rarement voir la charpente dans toute sa perspective et sa splendeur.

Voici quelques liens vers les églises dont j’ai pu visiter les combles.


    
Mantes la Jolie (78)
Gaillon sur Moncient (78)

               
La Ferté Alais (91)
          Saint Martin aux Bois (60)


Dans la prochaine Newsletter j’aborderai une troisième invention qui fut déterminante pour la construction des bâtiments et le développement de l’architecture religieuse.



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