Nécessité technique ou innovation esthétique ?

 


























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Cinq siècles séparent ces deux édifices !


Cette photo n’est pas un montage, c’est une vue de la cathédrale Saint Pierre de Beauvais. À droite le transept sud de la cathédrale inachevée car l’ambition dépassait les possibilités techniques d’alors. À gauche la nef de l’église romane primitive – La basse Œuvre  que devait remplacer la cathédrale gothique.




Cinq siècles d’innovations, d’expérimentations raisonnées et de progrès continu dans l’art de construire tant dans les pratiques opérationnelles que dans les domaines connexes comme la géométrie descriptive, la stéréotomie, le mesurage, l’organisation du travail, la conception et la fabrication des échafaudages, des étaiements, des coffrages, des moyens de levage, etc.

Les évolutions techniques visibles ancrées dans la pierre témoignent qu’en termes d’acharnement, d’innovations et de prise de risques le Moyen Age a été aussi fécond pour la construction que l’ont été les 19ème et 20ème siècles pour la maîtrise de l’énergie et du traitement de l’information.

Les architectes médiévaux ont poursuivi un but constant : construire toujours plus grand, toujours plus haut, toujours plus clair en cultivant l’esthétique et en satisfaisant aux modes successives.

Une cathédrale de la dimension de Notre Dame d’Amiens construite avec les principes et les méthodes que l’on nomme romans se serait écroulée sous son propre poids.

Pour construire plus grand et plus haut il fallait construire plus léger et pour construire plus léger il fallait construire différemment. Il fallait innover pour repousser les limites. L’évolution du roman vers le gothique marque une rupture dans la façon de concevoir l’équilibre de l’édifice. Cette rupture s’est produite très progressivement comme nous allons le voir.


La nécessité, mère de l’innovation

L’évolution roman / gothique est la conséquence du progrès continu qui a permis aux architectes de résoudre un à un les problèmes auxquels ils étaient confrontés.

Une solution permet de résoudre un problème pour faire plus et mieux, mais alors apparaissent de nouveaux problèmes qu’il faut résoudre à leur tour pour continuer de progresser. Ce qui n’était qu’une simple gêne pour un petit édifice devient un écueil parfois insurmontable pour un grand édifice.


Le progrès continu, moteur de l’évolution scientifique et technique, est à l’image du tonneau des Danaïdes, sauf que ce n’est pas un supplice, du moins pour l’ingénieur ou le chercheur. Plus on fait d’efforts pour vider le tonneau contenant les problèmes rencontrés plus celui-ci se remplit de nouveaux problèmes. C’est sans fin … Là réside la richesse des métiers du chercheur scientifique et de l’ingénieur, là est la source du progrès scientifique et technique.


sans nécessité il n’y a pas d’innovation


Certains historiens racontent la gestation du gothique en évoquant des tâtonnements, des hésitations, des indécisions, des maladresses voire des incompétences avant que ne surgisse la géniale invention de l’ogive et de l’arc boutant qui aurait bouleversé l’art de la construction !

C’est bien mal connaître le monde de la technique et de l’innovation. Les architectes et les maçons étaient aussi intelligents et inventifs que les ingénieurs et les techniciens d’aujourd’hui, voire plus compte tenu des modèles scientifiques et des outils dont ils disposaient. Architectes médiévaux et ingénieurs contemporains, même combat au service du progrès continu.


Absence de trace écrite, seule la pierre parle

La plupart des documents techniques qui auraient pu nous éclairer sur ces évolutions n’ont pas résisté au temps et souvent ils ont été détruits à la Révolution. Les documents accessibles de nos jours relatent principalement des faits historiques, religieux, comptables ou de gouvernance politique.

Jusqu’à la généralisation de l’utilisation du papier au 14ème siècle les techniques se transmettaient de bouche à oreille. Les plans et les dessins indispensables à la réalisation de telles constructions étaient tracés sur des parchemins qui, du fait de leur coût et leur rareté, étaient ensuite grattés pour être réutilisés.

Nous n’avons donc quasiment aucune trace écrite du bouillonnement technique qui était au cœur de la construction de ces édifices. Les seules évolutions techniques visibles sont ancrées dans la pierre. Nous ne disposons quasiment d’aucune information sur les progrès accomplis dans les domaines connexes indispensables au développement de l’art de construire comme la géométrie descriptive, la stéréotomie, le mesurage, l’organisation du travail, la conception et la fabrication des échafaudages, des étaiements, des coffrages, des moyens de levage, la confection des mortiers, etc

Le carnet de Villard de Honnecourt est l’un des très rares document, à présent conservé à la Bibliothèque nationale de France, qui nous renseigne sur l’état des connaissance de l’époque. Villard est un architecte du XIIIe siècle, célèbre pour son carnet où il a consigné de nombreux croquis d'architecture, de plans et de dessins. La survie de ce document relève presque du miracle. Vous en trouverez ici quelques extraits.