L'arc boutant

 























(Cliquer sur l'image pour accéder à la page concernant l'édifice)


Nous avons vu au chapitre La voûte d’ogive que les églises à trois nefs avec fenêtres hautes et couverts d’ogives étaient limitées en hauteur.


Comme l’illustre le schéma ci-dessus, les limites auxquelles se heurtaient les édifices sans arcs boutants sont alors affranchies, tout devient possible, ou presque. Les architectes et les maîtres maçons ont alors érigé les édifices les plus prestigieux que nous allons voir, où convergent légèreté, luminosité et volume. Ainsi la cathédrale Notre Dame d’Amiens a la plus grande hauteur sous voûte avec 42,3 mètres, le chœur de la cathédrale Saint Pierre de Beauvais, restée inachevée car trop ambitieuse, culmine avec 46,8 mètres. 

La technique de l’arc boutant est expliquée dans la fiche Technique de l'arc boutant.


Après avoir exposé les principes de l'arc boutant nous examinerons son emploi dans deux types d'édifices.


Principe : le principe de base de l'arc boutant


Églises avec tribunes Ce type d'élévation, robuste mais très consommatrice de pierres, ne fut plus pratiquée au-delà de la première moitié du XIIIème siècle.


Églises sans tribune Cette structure à trois nefs, fenêtres hautes et arcs-boutants sera utilisée jusqu’à l’apparition de l’architecture renaissance puis baroque et néo-classique à partir du XVIème siècle. L’architecture néo-gothique du XIXème siècle reprendra ce type de structure. L’élévation est plus ou moins sophistiquée : murs nus, arcatures, triforium.


Ce type d'élévation sans tribunes, pratiquée jusqu'au XVIème siècle, formera la branche ultime de notre arbre phylogénétique. C’est l’homo sapiens de la phylogénèse de l’architecture religieuse médiévale.



 PRINCIPES


Le dessin ci-dessous, à gauche, représente la coupe transversale d’une église de ce type. Elle explique très schématiquement le principe des conditions d’équilibre d’un tel édifice en montrant que les dimensions et les proportions doivent être telles que les effets de la poussée latérale de la voûte centrale sont maintenus à l’intérieur de la maçonnerie qui la supporte grâce à l’épaisseur des murs, des piles et des colonnes engagées dans la nef et dans le collatéral. La flèche rouge ne sort pas de la maçonnerie.


Ce principe est expliqué dans la fiche technique Traversée de l’espace avec la pierre.



Le dessin de droite illustre un édifice de même structure mais beaucoup plus haut. Il compare ce que seraient les conditions d’équilibre dans un édifice sans arcs-boutants dans sa partie gauche et avec arcs boutants dans sa partie droite.

- A gauche il faudrait augmenter considérablement la largeur de la maçonnerie entre la nef et le collatéral pour que la flèche rouge ne sorte pas des limites de la maçonnerie. Cette épaisseur, quel qu’en soit l’habillage esthétique, gênerait considérablement la circulation dans le collatéral et dégraderait les perspectives associées.

- La partie droite du dessin représente le même édifice muni d’arcs-boutants qui repoussent le point d’appui de la poussée latérale de la voûte sur une culée située à la verticale du mur gouttereau du collatéral, c’est-à-dire à l’extérieur de l’emprise de l’édifice au sol. La flèche rouge reste à l’intérieur de la maçonnerie et les espaces de circulation dans les collatéraux ne sont pas rétrécis. L’arc-boutant agit comme un étai qui déplace le point d’appui de la poussée latérale.

Le terme arc-boutant peut laisser supposer que c’est l’arc qui s’oppose à la poussée de l’ogive, il boute. C’est inexact. En effet comment imaginer que la poussée exercée par un arc de faible portée et de faible épaisseur puisse résister seule à celles exercées par un arc doubleau massif, par deux ogives de grande portée et par la voûte en pierre qui couvre la travée ! 

Le terme anglais flying-butress (littéralement contrefort volant ou contrefort déplacé) me semble mieux adapté car il s’agit bien de déplacer le contrefort à l’extérieur du collatéral pour ne point l’encombrer.


On lit souvent dans la littérature que la voûte d’ogive et l’arc boutant sont deux inventions indissociables. C’est faux ! En effet les églises gothiques à une seule nef et les saintes chapelles n’ont jamais d’arcs boutants parce qu’elles n’en ont pas besoin comme nous l’avons montré au chapitre précédent.


 

ÉDIFICES AVEC TRIBUNES

1) Élévation à trois niveaux (grandes arcades, tribunes, fenêtres hautes)

L’élévation avec tribunes est apparue, principalement en Auvergne, dans les édifices dont la nef est couverte par une voûte en berceau et les bas-côtés couverts de voûtes d’arêtes. Cette structure consiste à ajouter un étage aux collatéraux afin de renforcer la résistance aux poussées latérales de la voûte, permettant ainsi de construire plus haut.

Cette technique fut utilisée pour l’abbatiale de Saint Germer de Fly, un des premiers édifices gothique sans arc boutant que nous avons évoqué au chapitre La voûte d’ogive, et dont nous rappelons la structure à gauche dans le schéma ci-dessous.


    

Saint Germer de Fly                             Tribunes en berceaux transversaux                              Tribunes en ogive


Tribunes voûtées en berceaux transversaux : la collégiale de Mantes la Jolie, au centre, est intéressante car ses tribunes sont voûtées en berceaux transversaux. Cette technique des berceaux transversaux présente l’intérêt de ne pas engendrer de poussées latérales sur les murs gouttereaux et de neutraliser les poussées longitudinales de travée en travée. Elle avait été utilisée à l’époque romane pour les nefs des églises de Tournus et de Mont Saint Vincent mais sans suite. De même la technique utilisée à Mantes la Jolie pour couvrir les tribunes ne fut pas reprise.


    

Mantes la Jolie - Collégiale Notre Dame (78)


Tribunes voputées en ogive : c'est le cas le plus répandu. En voici quelques exemples.


    

Paris – Cathédrale Notre Dame (75)


    

Senlis – Cathédrale Notre Dame (60)


    
Reims – Saint Rémi (51)

    

Fécamp – Abbatiale de la Sainte Trinité (76)


2) Élévation à quatre niveaux (grandes arcades, tribunes, triforium, fenêtres hautes)

Mais il fallait construire encore plus haut, encore plus vaste. Les technique d’alors ne permettaient pas d’allonger les fenêtres hautes car cela aurait trop fragilisé le mur gouttereau. Une sorte d’étage supplémentaire le triforium fut ajouté entre les tribunes et les fenêtres hautes. Cet élément est à la fois décoratif en démultipliant le visuel gothique, structurel en allégeant le mur gouttereau tout en maintenant sa résistance. Ce dispositif a aussi un rôle fonctionnel en offrant des points d’appuis élevés pour arrimer les échafaudages en sauterelle durant la construction.

Les églises construites avec ce type d’élévation à quatre nivaux (arcades, tribunes, triforium, fenêtres) sont majestueuses mais peu nombreuses, en voici quelques exemples.


    

Chalons en Champagne – Notre dame en Vaux (51)


    

Noyon – Cathédrale Notre Dame (60)


    

Laon – Cathédrale Notre Dame (02)


3) Alléger la construction

Dans la construction des églises médiévales, la première composante du coût était la matière première, la pierre, qu’il fallait extraire avec des moyens rudimentaires donc coûteux en temps, transporter avec des infrastructures sommaires donc lents peu fiables, tailler manuellement par une main d’œuvre abondante.

La cathédrale Notre Dame de Rouen illustre cet effort d’allègement en supprimant le sol des tribunes, réunissant ainsi dans un même volume le collatéral et la tribune. La même technique est utilisée dans la collégiale Notre Dame et Saint Laurent d’Eu en Seine Maritime (76).


    

Rouen – Cathédrale Notre Dame (76)


    

Eu – Collégiale Notre Dame et Saint Laurent (76)


La structure avec tribunes, trop coûteuse en pierre, le matériau de base, fut abandonnée au profit de structures plus simples grâce à la maîtrise grandissante des lois de l’équilibre et un empirisme raisonné.

   

ÉDIFICES SANS TRIBUNES


Le schéma ci-dessous résume les différentes techniques qui permettent d’occuper la surface située entre le sommet des grandes arcades et la base des fenêtres hautes.



                                                                                                                          

Mur nu

C’est la solution la plus simple à réaliser et la plus économique utilisée dans les nefs des édifices modestes.


    

Laon – Église Saint Martin (02)


    

Itteville – Église Saint Germain de Paris (91)


    
Chalons en Champagne – Église Saint Alpin (51)

    
Les Andelys – Collégiale Notre Dame (27)

    

Noirlac (18)



Fenêtre haute longue

Cette disposition consiste à allonger les fenêtres hautes vers le bas presque jusqu’au faîte des grandes arcades. Elle suppose une bonne maîtrise des principes d’équilibre de l’édifice mais ne s’applique qu’à des édifices de hauteur modeste, inférieure à 20 mètres. Elle fut pratiquée plutôt dans la deuxième moitié du XIIIème siècle et surtout à l’époque du gothique flamboyant au XIVème siècle. Elle offre une remarquable luminosité.


    

Puiseaux – Église Notre Dame (45)


    
Le Mans – Cathédrale Saint Julien (72)

    
Paris – Église Saint Gervais (75)


Ouvertures pour aérer les combles

De petites ouvertures pratiquées entre la base des fenêtres hautes et les grandes arcades permettent d’aérer les combles des collatéraux.


      
Champeaux – Collégiale Saint Martin (77)

    
Saint Martin aux Bois – Abbatiale Saint Martin (60)

    
Sélestat – Église Saint Georges (67)


Arcatures

Le deuxième niveau entre les grandes arcades et les fenêtres hautes est orné d’arcatures aveugles qui reposent sur un bandeau généralement mouluré. Cette disposition est parfois appelée faux triforium.


    
Champagne sur Oise – Église Notre Dame de l’Assomption (95)

    
Ourscamp – Abbatiale Notre Dame (60)


Triforium


La structure à trois niveaux, grandes arcades, triforium, fenêtres hautes, est l’aboutissement de l’architecture gothique en ce sens qu’elle a été utilisée depuis la fin du XIIIème siècle jusqu’à la disparition du gothique puis reprise au XIXème siècle avec le néo-gothique.

Le triforium, appelé parfois fausses tribunes, est un passage étroit aménagé dans l'épaisseur des murs de la nef au niveau des combles des bas-côtés. Il occupe l’espace entre la base des hautes fenêtres et le sommet des grandes arcades. Il consiste en une série régulière de petites arcades qui occupent la largeur de la travée. Il n’a pas d’utilité fonctionnelle sauf peut être lors de la construction pour arrimer les échafaudages en sauterelle. Cette disposition est quasi systématique dans les grandes églises.

Il existe deux types de triforium. Le triforium aveugle et le triforium ajouré.

Triforium aveugle : les arcades donnent sur le mur plein qui sépare la nef des combles des collatéraux, combles couverts par une toiture à une pente.

Triforium ajouré : les arcades donnent sur des baies vitrées ouvertes vers l’extérieur parce que les combles des collatéraux sont couverts soit d’un toit plat ou d’une toiture très peu pentue soit d’une toiture en bâtière.

Le schéma ci-dessous illustre ces situations sur les coupes de la nef et du chevet de la cathédrale d’Amiens.


Amiens : coupe de la nef                                                                              Amiens : coupe du chevet


Dessins Ph. Gavet (http://www.philippe-gavet.fr)

  Triforium aveugle


    
Auvers sur Oise – Église Notre Dame (95)

    
Amiens (nef) – Cathédrale Notre Dame (80)
  
    
Soissons – Cathédrale Saint Gervais et Saint Protais (02)
  
    
Sens – Cathédrale Saint Etienne (89)

    
Chartres – Cathédrale Notre Dame (28)

    

Bourges – Cathédrale Saint Etienne (18)

    
Auxerre – Cathédrale Saint Etienne (89)

    
Rampillon – Église Saint Eliphe (77)

    
St Leu d’Esserent – Abbatiale Saint Nicolas (60)

    
Taverny – Église Notre Dame de l’Assomption (95)

    
Meaux – Cathédrale Saint Etienne (77)

   
Orbais – Abbatiale Saint Pierre (51) 

    
Braine – Abbatiale Saint Yved (02)

    
Brie Comte Robert – Église Saint Etienne (77)    

  Triforium ajouré


    
Beauvais – Cathédrale Saint Pierre (60)

    
Saint Denis – Cathédrale Saint Denis (93)

    
Amiens (chevet) – Cathédrale Notre Dame (80)

    
Strasbourg – Cathédrale Notre Dame (67)

    
Chalons en Champagne - Cathédrale Saint Etienne (51)

    
Saint Sulpice de Favières (chœur) – Église Saint Sulpice (91)  

Ce type d'élévation sans tribunes, pratiquée jusqu'au XVIème siècle, forme la branche ultime de notre arbre phylogénétique.

Dans l'architecture médiévale c’est l'équivalent de l’homo sapiens de la phylogénèse de l'être humain.